Approximation, confusion, semi-vérité...
actualisé le 30 novembre 2017


La lecture d’un article paru en Algérie et intitulé « Le grand mensonge » nous enseigne que  « L'Algérie, c'est la Chine de l'Afrique et tous ses détracteurs l'apprendront à leurs dépens ». Le même jour, dans un autre article paru au Maroc , nous apprenions également que « Le Maroc [est le] plus grand partenaire de la Chine en Afrique ».

Si la niaiserie du premier propos le disqualifie d’emblée, le second mérite que l’on rappelle de simples faits. En 2016,

  • la Chine, selon le MOFOM, a investi environ dix millions de dollars au Maroc, c’est-à-dire autant qu’au Bénin qui sont donc tous deux au 28e rang cette année-là. Quant au stock d’investissement direct chinois, il ne pèse que 0,4% du stock d’investissement chinois en Afrique, très loin derrière l’Afrique du Sud (16,3%), le Congo RDC (8,8%), la Zambie (6,7%), l’Algérie (6,4%) et trente et un autres pays africains.
  • les exportations chinoises à destination du Maroc représentent (selon la CNUCED) 0,15% des exportations chinoises dans le monde et 3,35% de celles à destination de l’Afrique.
  • les importations chinoises de produits venus du Maroc représentent (toujours selon la CNUCED) 0,03% des importations chinoises et 0,98% de celles en provenance d’Afrique.

Rappelons aussi que, contrairement à ce que la presse marocaine a eu tendance à seriner, le Maroc n’est pas le premier pays africain à faire partie des nouvelles routes de la soie (c’est l’Égypte), mais, aux termes du mémorandum, le Maroc est « le premier pays arabe du nord-ouest de l'Afrique » (voir Faits et données sur le Maroc et la Chine ).

Quant à Libération, il reprend dans sa livraison du 27 novembre 2017 un communiqué de l’AFP dont nous extrayons le paragraphe suivant :

La Chine était en 2016 le premier investisseur étranger en Afrique avec 36,1 milliards de dollars engagés sur le continent. À la fin de cette année-là, les entreprises chinoises avaient contribué à construire une centaine de parcs industriels, des milliers de voies ferrées et d’autoroutes, ainsi que plusieurs aéroports et centrales électriques, selon les chiffres présentés au forum.

C’est « beau comme un enfant qui s’endort en faisant sa prière » aurait dit Charles Péguy ! Le chiffre du montant de l’investissement chinois en Afrique est directement repris du The Africa Investment Report 2017 publié par The Financial Times et dont nous avons démontré ici l’inanité (voir À propos du "The Africa Investment Report 2017" [1]  & À propos du "The Africa Investment Report 2017" [2] ).

« Parcs industriels », quelle belle appellation pour des enclaves économiques chinoises en Afrique dont le succès est des plus mitigés et dont le nombre est loin de la centaine (quatre seulement ont été homologués par le MOFCOM). Pour une approche plus distancée, le lecteur pourra se référer au travail récent de Françoise Nicolas de l'IFRI (Chinese Investors in Ethiopia: The Perfect Match?) ou encore au nôtre en collaboration avec Khadidja Benbraham (L’Algérie et la question des ZES « à la chinoise » ).

« Des milliers de voies ferrées et d’autoroutes », encore un bel exemple de la parole magique dont la puissance naît de l’imprécision même des propos. Peut-être s’agit-il plus modestement de la réfection voire de la construction de milliers de kilomètres de voies ferrées, ce qui est déjà essentiel surtout quand s’y ajoute un renouvellement du parc ferroviaire. Quant aux aéroports, ne s’agit-il pas plutôt des seuls aérogares (le bâtiment central d’un aéroport destiné à l’accueil des voyageurs) comme dans le cas souvent vanté de Maya-Maya ou encore celui d’Impfondo (voir La Weihai International au Congo-Brazzaville [Interview 3 ]) ?

Comprenons-nous bien, nous ne nions aucunement que la présence chinoise en Afrique (tout comme l’indienne, ou la japonaise…) puisse utilement contribuer au développement du continent, au contraire. Ce que nous refusons, c’est toute forme de sinolâtrie qui obscurcit l’entendement, qui censure toute remise en perspective, d’autant plus que cette sinolâtrie se repaît de la lecture des analyses de cabinets de conseil (McKinsey, fDi Markets du groupe Financial Times…) ou de groupes de pression (The Heritage Foundation proche du Tea Party et soutien de Donald Trump…) dont les intérêts mercantiles et/ou politiques, sont d’exagérer le rôle de la Chine en Afrique pour mieux la combattre.