Approximation, confusion, semi-vérité [suite 1]


Suite d'une remarque qui débute avec Approximation, confusion, semi-vérité .

Dans un article du journal Les Échos, Hélène Gully reproduit des informations relevées dans un rapport de l’OCDE qui exploite abondamment et sans recul les données de fDi Markets diffusées par le Financial Times (voir À propos du "The Africa Investment Report 2017" [1]  et [2] ). Dans ce rapport les auteurs de l’OCDE écrivent en note du tableau de la page 55 (image ci-dessous) :

Les données recouvrent les projets d’IDE annoncés ou en cours […] Les entreprises pouvant lever des capitaux sur place, échelonner leur investissement dans le temps et acheminer leurs fonds à travers différents pays à des fins d’optimisation fiscale, les chiffres utilisés par fDi Markets diffèrent des données officielles sur les flux d’IDE.

On notera d’abord que les données rassemblées dans ce rapport émanent principalement de fDI Markets dont les préoccupations commerciales sembleraient conduire ce cabinet de conseil à sélectionner une présentation des données lui favorisant l’exercice de son métier.

On notera également que la remarque du rapport soulignant une divergence entre le montant annoncé des projets et les données officielles sur les flux, si elle est exacte et incontestable, pose néanmoins des questions méthodologiques auxquelles le rapport ne répond pas.

  • D’abord, on devrait se demander si on peut désigner par une seule et même expression (IDE, soit « investissement direct à l’étranger ») un mémorandum autorisant une étude de faisabilité, un projet envisagé, un projet abandonné… et des projets en cours ou achevés ? Les premiers ne donnent lieu à aucun flux d'investissement effectif au sens même de l’OCDE[1] et ne devraient pas être inclus dans une analyse de l’investissement réel destiné à apprécier la présence économique d’un pays dans un autre pays.
  • Ensuite, on notera que l’habitude statistique est bien d’enregistrer un investissement compte tenu du dernier lieu d’où vient le flux financier. Si cette pratique, qui résulte de l’opacité des financements, rend légitime une recherche en paternité réelle d’investissement (comme le fait l’Office for National Statistics au Royaume-Uni [2]), elle n’autorise pas pour autant à confondre protocole d’accord et investissement, ni investissement et prestations de services. De surcroît, on devrait encore se demander si la référence même à un pays d’origine (et non plus à un pays éventuellement intermédiaire) reste méthodologiquement pertinente.
  • Si une entreprise, disons chinoise, doit se faire financer par une banque du pays hôte de son investissement, cette entreprise chinoise acquiert ipso facto une autonomie qui transforme un investissement a priori lié à la Chine en un investissement ne résultant que d’une stratégie d’entreprise dégagée de toute référence nationale. Un exemple serait l’accord entre Haite et la BMCE pour une cité industrielle au Maroc. La globalisation des activités de ces entreprises les rend multinationales et, de ce fait, quasiment apatrides.

Le montant officiel des flux d’investissement chinois reste une donnée majeure pour apprécier le montant des flux financiers allant de la Chine vers l’Afrique – et donc de la dépendance de cette dernière aux financements venus de Chine – mais non pour apprécier l’activité en Afrique d’entreprises multinationales d’origine chinoise dont les financements peuvent ou pourraient être africains !


[1] L’investissement direct étranger (IDE) est l’investissement par lequel un investisseur résidant dans un pays obtient un intérêt durable et une influence significative dans la gestion d’une entité résidant dans un autre pays.

[2] Je remercie Christophe Granier qui m’a signalé un article de Max de Haldevng paru dans Quartz qui m’a conduit à l’étude de l’ONS.