Endettement et prêts chinois [tests statistiques]
Thierry Pairault


J’ai entrepris de rechercher une corrélation entre endettement et prêts chinois dans le cas de l'Afrique (septentrionale et subsaharienne). J’ai utilisé les statistiques du CARI pour les prêts (Chinese Loans to African Governments 2000-2017 ) et celle de la Banque mondiale pour l’endettement (voir ici l’article Statistiques d'endettement ).

J’ai eu recours au calcul du coefficient de corrélation de rang de Spearman. La corrélation de Spearman est mesurée lorsque deux variables statistiques semblent corrélées sans que la relation entre ces deux variables soit évidente. Une corrélation parfaite entre les rangs de deux variables se lirait ainsi : l’individu qui arrive au premier rang pour la première variable est aussi l’individu qui arrive au premier rang pour la seconde variable ; l’individu qui arrive au deuxième rang pour la première variable est aussi l’individu qui arrive au deuxième rang pour la seconde variable ; et ainsi de suite.

Si l’hypothèse d’une corrélation entre l’endettement et les prêts chinois était strictement vérifiée pour les pays africains, on devrait trouver que le pays le plus endetté est aussi celui qui a le plus contracté de prêts chinois ; le pays le plus endetté en second est aussi celui qui a le plus contracté de prêts chinois en second ; et ainsi de suite.

De fait, ce coefficient montre rarement une corrélation parfaite (valeur du coefficient 1). On considère qu’il y a une forte corrélation entre les deux variables dès lors que ce coefficient est supérieur à 0,7. Ce coefficient peut aussi prendre une valeur négative. Dans l’hypothèse d’une corrélation entre l’endettement et les prêts chinois, on trouverait alors que le pays le plus endetté serait aussi celui recourant le moins aux prêts chinois.

Les calculs utilisent les données relatives à 2017.

Premier test : existe-t-il une corrélation de Spearman entre l’endettement extérieur d’un pays africain mesuré par le taux d’endettement relativement au PNB d’une part, et les prêts chinois à ce pays mesurés par le rapport entre le montant de ces prêts relativement au PNB d’autre part ?  Le coefficient calculé est de 0,22 signifiant une absence de corrélation.

Deuxième test : les pays africains les plus riches (ou les plus pauvres) sont-ils ceux dont le montant des dettes extérieures est aussi le plus important ? Le PNB – pris comme mesure de la richesse – est ici confronté à l’endettement extérieur total. Le coefficient calculé est de 0,91 indiquant l’existence d’une très forte corrélation positive : les pays les plus riches seraient aussi ceux dont le montant des dettes serait le plus considérable. Cette conclusion n’est pas étonnante dans la mesure où l’on prête plus facilement aux pays riches, c’est-à-dire à ceux qui seraient a priori le plus à même de rembourser leurs dettes.

Troisième test : les pays africains les plus riches (ou les plus pauvres) sont-ils ceux qui bénéficieraient le plus des prêts chinois ? Le PNB – encore pris comme mesure de la richesse – est ici confronté au montant total des prêts chinois. Le coefficient calculé est de 0,71 indiquant l’existence d’une corrélation positive. On peut l’interpréter comme signifiant que la Chine serait moins sélective dans l’attribution de ses prêts dans la mesure où ce coefficient inférieur au précédent est au-dessus du seuil (0,7) à partir duquel on considère qu’il y a corrélation. Deux hypothèses seraient à alors vérifier. Soit la Chine consentirait davantage à donner leur chance aux pays les moins riches, soit elle évaluerait de manière très hasardeuse la situation des pays africains. Cette dernière explication semble la plus plausible compte tenu des exigences que le gouvernement chinois voudrait imposer à ses entreprises.

Quatrième test : les pays africains dont le montant de la formation brute de capital fixe (FBCF, c’est-à-dire l’investissement productif) est le plus important sont-ils ceux dont le montant des dettes extérieures est aussi le plus important ? Le coefficient calculé est de 0,83 indiquant l’existence d’une corrélation positive : les pays qui investissent le plus seraient aussi ceux dont le montant des dettes extérieures serait le plus élevé. Cette conclusion n’est pas étonnante dans la mesure où ce sont les pays qui ont le PNB le plus important qui ont la FBCF la plus importante (coefficient de 0,96).

Cinquième test : les pays africains dont le montant de la formation brute de capital fixe est le plus important sont-ils ceux dont le montant des prêts chinois serait le plus important ? Le coefficient calculé est de 0,62 indiquant l’existence d’une faible corrélation positive (inférieure au seuil de 0,7) ; ce résultat confirmerait le comportement de la Chine noté lors du troisième test.

Sixième et septième tests : on ne note aucune corrélation que ce soit entre le taux d’investissement (FBCF) relativement au PNB et le taux d’endettement relativement au PNB (-0,01) ou que ce soit entre le taux d’investissement relativement au PNB et le montant des prêts chinois relativement au PNB (0,38).

En conclusion de ce traitement statistique élémentaire on peut considérer que

  • L’endettement extérieur des pays africains ne peut pas être péremptoirement corrélé aux prêts que la Chine leur accorde. Cela ne rejette pas pour autant l’éventualité d’une responsabilité de la Chine dans le surendettement de certains pays. Le poids de la dette ne devient insupportable qu’à partir d’un certain seuil, et ce, quelle que soit la méthode de calcul de ce seuil, car c’est en termes de marge que cela doit être considéré. Les N premiers milliards d’euros de dettes peuvent être supportables, mais c’est le N plus unième milliard qui les rendra insupportables. Dans la conjoncture financière actuelle, il est plus que probable (une chance sur deux pour les travaux d’infrastructure selon les statistiques d’l’ICA pour 2017) que ce milliard supplémentaire résultera d’un prêt chinois. Ergo, les accusations dont la Chine est victime.
  • L’engagement de la Chine auprès des pays africains par l’octroi de prêts (qu’ils soient à taux préférentiels ou non) pourrait bien souvent résulter d’une certaine déficience des études de faisabilité et de rentabilité des projets africains que mèneraient les entreprises chinoises. Toutefois, on ne peut rejeter l’hypothèse selon laquelle les prêts auraient des objectifs a priori plus politiques qu’économiques et donc que les études de faisabilité et de rentabilité auraient (ou auraient eu) un rôle plus symbolique qu’effectif. D’où, des déceptions.

  • Ni le comportement des pays africains, ni le comportement de la Chine ne peuvent ni ne doivent être réduits à des formules à l’emporte-pièce du genre « l'Afrique fait ça », « la stratégie de la Chine est de faire ça ».

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Nota bene : Il ne faut absolument pas confondre l’endettement à une date donnée avec le montant cumulé des prêts obtenus à cette même date. Le montant cumulé des prêts obtenus inclut des prêts qui peuvent avoir été remboursés en partie ou en totalité ainsi que des prêts qui n’ont par encore été servi ou qui ne le seront jamais. De ce point de vue, ce montant pourrait surestimer l’endettement. Mais dans le même temps, il ne révèle pas le coût de ces prêts ni les intérêts restant à servir, et donc pourrait sous-estimer l’endettement. 

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